dimanche 23 juin 2013

Montbéliard, FC Sochaux et la famille Peugeot : une empreinte protestante en Franche-Comté

Salut à tous !

Le week-end dernier, j'ai participé au camp de fin d'année des Groupes Bibliques Universitaires de la région Est, avec des étudiants de tous les campus d'Alsace (Strasbourg, Mulhouse, Colmar), Lorraine (Nancy, Metz, Epinal) et Franche-Comté (Besançon, Belfort). Nous avons logé dans une ferme près de Florimont dans le Territoire de Belfort, en pleine nature et dans un cadre magnifique. Dimanche, nous sommes allés à l'Eglise évangélique mennonite de Montbéliard pour participer au culte et présenter le GBU. C'est la première fois que j'étais dans cette ville (même si ma famille vit en Franche-Comté, à Dole dans le Jura), que je connaissais déjà comme un centre important du protestantisme en France. Alors en rentrant, j'ai eu envie de faire des recherches et d'écrire un article sur cette ville riche en histoire qui a beaucoup apporté à notre pays, auquel elle n'appartient que depuis assez récemment (1793). En plus de sa spécificité religieuse (protestante luthérienne), Montbéliard est la ville natale d'une de ses plus grandes familles d'industriels : la famille Peugeot, les fondateurs de la célèbre marque automobile. Région rurale agricole, elle a également donné son nom à une race de vaches qui y a vu le jour. De plus, avec la petite ville de Sochaux qui fait partie de la même agglomération, elle est le lieu de naissance d'un important club de football, le plus ancien club professionnel français et celui qui totalise le plus de saisons en D1/Ligue1 : le FC Sochaux-Montbéliard. Voici donc le fruit de mes recherches, avec un grand merci à Jean-David, jeune prof d'histoire-géographie rencontré à ce week-end, d'avoir accepté de m'en faire la relecture.

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A l'époque féodale, la ville et ses environs formaient le Comté (1042-1495) puis la Principauté de Montbéliard (1495-1793), sous la souveraineté du duc de Wurttemberg. Vassale du Saint-Empire Romain Germanique, proche de la Suisse, voisine de la Franche-Comté sous domination espagnole, Montbéliard a cependant toujours gardé pour langue le français. Au début du 16° Siècle, la ville se remet difficilement des dégâts causes par la peste et la Guerre de Cent Ans... une période de crise qui suscite des interrogations spirituelles chez les habitants, révoltés par la richesse et les abus du clergé.

C'est dans ce contexte que la ville s'ouvre à la Réforme protestante : en 1524, le Réformateur français Guillaume Farel arrive à Montbéliard, invité par le duc Ulrich VI, et commence à y prêcher. D'après la légende, il prêche en se tenant sur la Pierre à poissons (cf photo), le plus ancien monument qui subsiste dans la ville. Sa prédication y rencontre un vif succès : au bout d'un an, la moitié de la ville est convertie au protestantisme... mais, sous la pression de l'archevêque de Besançon, Farel est expulsé.
C'est un autre Réformateur, Pierre Toussain, qui poursuivra son travail. En 1538, la Principauté de Montbéliard adopte officiellement le protestantisme, sous sa forme luthérienne.

Un peu plus d'un siècle plus tard, le Roi de France ayant pris le contrôle de l'ensemble de l'Alsace et de la Franche-Comté, la Principauté de Montbéliard, ainsi que la proche République de Mulhouse, également protestante mais germanophone, constituent deux villes-Etat indépendantes mais entièrement enclavées dans le territoire français. D'ailleurs, la France cherchera plusieurs fois à asservir Montbéliard (et à convertir la population au catholicisme), mais sans succès durable. Au début du 18° Siècle, des familles anabaptistes d'origine alsacienne (dont les mennonites sont les héritiers contemporains) s'installent et deviennent les principaux propriétaires terriens ; c'est dans leurs élevages qu'apparaitra plus tard la vache montbéliarde. Sur le plan religieux, la tolérance règne pendant cette période : l'Eglise luthérienne est reconnue comme religion d'Etat, mais il existe des lieux de culte catholiques et juifs reconnus, les réformés peuvent pratiquer en privé et les anabaptistes vivent à l'écart.

C'est dans une de ces fermes mennonites que nous avons été hébergés au courant de ce week-end et c'est dans une église mennonite de Montbéliard, héritière de l'anabaptisme historique, que nous sommes allés dimanche pour le culte... ainsi notre petite histoire rejoint la grande Histoire.

C'est seulement après la Révolution française que Montbéliard (et Mulhouse) seront intégrées à la France. Dès 1789, un parti pro-français naît dans la Principauté, alimenté par la par la famine et par la dureté de la noblesse locale. Le 10 octobre 1793, Montbéliard est officiellement annexée par la toute jeune République française. Elle est d'abord rattachée au département de Haute-Saône (Franche-Comté), puis en 1797 au département du Mont-Terrible qui est supprimé et incorporé au Haut-Rhin (Alsace) en 1800. Enfin, en 1816, elle est intégrée au département du Doubs, en Franche-Comté, dont elle est une sous-préfecture jusqu'à aujourd'hui.

Mais, si l'économie montbéliardaise profite de la suppression des frontières, les idéaux révolutionnaires sont en revanche mal acceptés : surtout, les protestants montbéliardais n'acceptent pas la tentative de remplacer le christianisme par le culte "rationnel" de "l'Être suprême" et insistent pour conserver leur liberté de culte. Le Concordat de Napoléon vient remédier à la situation : l'Eglise luthérienne de Montbéliard est rattachée à Strasbourg et les pasteurs deviennent fonctionnaires de l'Etat jusqu'en 1905.
En 1870, suite à la défaite de Napoléon III contre l'Empire prussien, l'Alsace et la Moselle sont annexées par la Prusse, mais la commune de Belfort, qui constitue à cette époque l'extrême Sud-Ouest du Haut-Rhin, résiste à l'envahisseur et reste française. C'est alors que le Territoire de Belfort devient le 4° département de Franche-Comté et que Montbéliard sera coupée de l'Alsace, mais son Eglise luthérienne restera dépendante de Strasbourg.


C'est au 19° Siècle, pendant la Révolution industrielle, que se sont faits connaître les plus illustres enfants de Montbéliard : la famille Peugeot, une des plus anciennes familles historiques d'industriels français. Fondateurs de l'entreprise automobile Peugeot dont ils implantent les premières usines dans le Pays de Montbéliard, ils sont encore aujourd'hui la 36° fortune de France avec un patrimoine s'élevant à 1 355 millions d'euros. Protestants pieux (particulièrement les plus anciens ; pour la jeune génération je ne sais pas), leur succès illustre à merveille les thèses du sociologue allemand Max Weber sur l'éthique protestante du travail et le rapport entre foi protestante et esprit d'entreprise. Mais les Peugeot sont loin d'être des capitalistes cupides : soucieux du bien-être de leurs employés et sensibles, en raison de leur foi protestante, aux questions de justice sociale, ils créent une caisse de pensions pour les veuves en 1811, une assurance mutuelle sociale en 1853 (près d'un siècle avant la sécurité sociale), un hôpital qui soigne gratuitement les ouvriers victimes d'accidents du travail en 1870 et une caisse de retraite ouvrière en 1876. En 1928, ils créent le FC Sochaux, premier club de football professionnel en France. Pendant l'Occupation (1940-1945), forcées comme d'autres entreprises françaises à collaborer à l'effort de guerre allemand, les entreprises Peugeot feront tout leur possible pour résister.

Pour conclure, je mentionnerai encore que Patrick Peugeot, un cousin éloigné de la grande famille d'industriels et également protestant, est depuis 2006 président de la Cimade, association œcuménique d'inspiration protestante de solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile. Comme quoi, non, le vieil attachement protestant à la justice sociale n'est pas mort !

1 commentaire:

Louis a dit…

Des industriels entreprenants et ayant mené leur entreprise en pratiquant certaines valeurs morales et humaines, c'est effectivement a souligner et a louer...en esperant qu'il y en aura beaucoup d'autres.