samedi 2 mars 2013

Arguments théistes

Bonjour tout le monde !

Socrate, auteur des
 premiers arguments théistes

A-travers les siècles d'histoire de la philosophie, de nombreux raisonnements logiques très divers ont été développés afin de démontrer l'existence de Dieu : les arguments théistes. Les premiers à avoir formulé de tels arguments étaient les 3 grands philosophes de la Grèce antique, Socrate Platon et Aristote, pour qui Dieu, qu'ils voyaient comme un être absolu en tout point, était nécessaire au fonctionnement du monde. Peu usités par les chrétiens des premiers siècles (surprenant d'ailleurs), ces arguments ont ensuite été repris au Moyen-Âge par des théologiens musulmans (Averroès, Al-Kindi...), puis chrétiens (surtout Thomas d'Aquin), avant d'être développés par des philosophes théistes ou déistes comme Leibnitz, Descartes, Voltaire et Kant. Par contre, ils semblent n'avoir jamais eu une grande importance dans la pensée philosophique chrétienne et apparaissent peu chez les plus grands philosophes chrétiens comme Augustin, Pascal ou Kierkegaard. Ils ont cependant toujours joué un rôle très important dans la théologie catholique jusqu'à aujourd'hui. La Réforme protestante les a généralement mis de côté en insistant sur la Révélation, par opposition à la raison, comme base de la foi, mais les arguments théistes reviennent sur le devant de la scène aujourd'hui dans la pensée de plusieurs apologètes évangéliques contemporains (Alister McGrath, Ravi Zacharias, etc). Alors, j'ai eu envie de consacrer moi aussi un article sur mon blog à ces arguments.

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L'argument ontologique, ou argument de l'essence
Cet argument, énoncé pour la première fois par le théologien catholique médiéval Anselme de Canterbury puis repris notamment pas Descartes, veut établir l'existence de Dieu par la seule analyse de son essence, de ce qu'il est, au contraire des autres arguments théistes qui reposent sur l'observation du monde, c'est pourquoi je le mets en premier même s'il n'est pas le plus important.
L'argument consiste à montrer que la nature même de Dieu implique forcément son existence. Pour résumer : Dieu, par définition, est un être infini et parfait ; s'il était inexistant, il ne serait plus parfait ; donc, il doit forcément exister.
Le raisonnement d'Anselme de Canterbury : Dieu est un être parfait, infini, sans aucune limite. L'esprit humain est capable de concevoir un tel être infini et il lui donne le nom de Dieu. Or, un être qui existe dans la réalité du monde est plus grand, plus parfait, qu'un être qui existe seulement dans l'esprit humain. Donc, un tel être infini doit forcément exister dans la réalité.
Le mathématicien et logicien autrichien Kurt Gödel, un ami d'Einstein, connu surtout pour son théorème d'incomplétude, a proposé une reformulation de l'argument ontologique en langage mathématique : la preuve ontologique de Gödel. Il n'a fait circuler ce travail que parmi ses connaissances et ne voulait pas le publier, de peur qu'il ne soit interprété à tort comme une tentative de preuve finale de l'existence de Dieu.
Cet argument repose de toute évidence sur un sophisme et peut être facilement réfuté : si Dieu n'existe pas, alors il n'est évidemment pas parfait ni infini et tout le raisonnement s'effondre. L'argument a donc été très souvent critiqué, notamment par Emmanuel Kant et même par Thomas d'Aquin, qui répond que l'esprit humain, dans sa finitude, n'est pas capable de comprendre l'infinité de Dieu. Pourtant, malgré toutes les critiques, l'argument ontologique continue de fasciner les philosophes, qu'ils l'acceptent comme valide ou non. Le philosophe gallois Bertrand Russell, un des plus grands penseurs athées du 20° Siècle, a dit au sujet de cet argument : « Il est plus facile d’être convaincu que l’argument doit être fallacieux que de trouver précisément où repose l’erreur. » La preuve ontologique a récemment été revalorisée par le philosophe américain contemporain Alvin Plantinga.


L'argument téléologique, ou argument du dessein
Voltaire
Cet argument est certainement l'argument théiste le plus connu. Sa formulation la plus célèbre est celle de Voltaire, connue sous le nom d' « argument de l'horloger ».

Selon cet argument, l'existence même de l'Univers, la complexité de son fonctionnement et l'équilibre qui le régit, sont la preuve de l'existence d'une intelligence créatrice, dont l'action créatrice a un but. Tout ce qui existe et dont le fonctionnement est régi par un mécanisme précis a forcément été conçu par une intelligence créatrice ; or, l'Univers existe et fonctionne selon les lois de la nature ; donc, l'Univers a nécessairement été conçu par une intelligence créatrice, dans un but.

Voltaire, qui s'inspire du philosophe chrétien anglais William Paley, explique que si un jour, en se promenant, il trébuche sur une pierre et se demande ce qu'elle fait là, on pourrait lui répondre tout simplement que cette pierre a toujours été là, que c'est l'endroit où elle se trouve naturellement. Par contre, s'il trouve une horloge par terre, la réponse à la même question sera différente : c'est qu'il a forcément du y avoir, à un moment donné et en un endroit donné, un horloger qui a fabriqué cette horloge. Sans cet horloger, l'horloge ne pourrait pas exister. Même si l'horloge est abimée, qu'elle fonctionne mal, nous savons tout de même avec certitude qu'elle a été conçue par un être intelligent (l'horloger) dans un but précis (montrer l'heure). De même que l'existence de l'horloge prouve l'existence d'un horloger qui l'a conçue, de même l'existence de l'Univers prouve celle d'une intelligence qui l'a créé. Voltaire conclut son argument par sa célèbre formule : « L'Univers m'embarrasse et je ne puis songer Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger. »

Cet argument a été de plus en plus mis en avant avec les découvertes scientifiques modernes, notamment en physique, sur la complexité du fonctionnement du monde et le réglage fin et précis des constantes physiques nécessaires à l'apparition de la vie. Il balaie d'un revers de main l'idée selon laquelle le progrès scientifique a rendu caduque l'idée de Dieu : avec cet argument, au contraire, plus la science progresse, plus notre compréhension du monde augmente, plus il devient infiniment probable qu'il y a un Dieu qui l'a créé.



Les arguments cosmologiques

Thomas d'Aquin
L'argument cosmologique, sous ses diverses formes, trouve son origine chez les 3 grands philosophes athéniens, Socrate, Platon et Aristote. Il a par la suite été abondamment repris, notamment Thomas d'Aquin. Il s'agit ici de partir de l'observation du monde (du cosmos, d'où le nom d'argument cosmologique) pour en déduire l'existence de Dieu. Pour les philosophes athéniens, l'existence d'un être suprême, infini et parfait dans toutes ses caractéristiques est nécessaire à l'existence du monde et de la raison humaine.

Dans sa Somme théologique, Thomas d'Aquin propose trois variantes de cet argument :


  • La voie par le mouvement : Tout, dans l'Univers, est en mouvement (c'est-à-dire, en termes philosophiques, tout change, rien ne reste éternellement identique). Or, tout ce qui est en mouvement est forcément mû par autre chose, il n'y a pas de mouvement sans moteur. Il est donc nécessaire qu'il y ait un premier moteur qui soit le moteur de toute chose.
  • La voie par la cause : Tout ce qui existe a forcément une cause. En remontant arrière la chaîne de cause à effet, il est donc nécessaire qu'il y ait une cause première qui soit la cause de tout.
  • La voie par la contingence : Tout, dans le monde, a un commencement et une fin, donc la possibilité d'exister et de ne pas exister. Par conséquent, puisque ces choses existent alors que leur existence n'est pas nécessaire, il doit y avoir quelque chose qui les fait exister.

Cette cause première, ce moteur premier, cette nécessité première, c'est Dieu. Une réponse facile à cet argument serait : « Dieu a créé le monde mais... qui a créé Dieu ? » Quelle est la cause de cette cause première, le moteur de ce moteur premier ? En réalité, cette question est un non-sens : d'après les lois de la logique, tout ce qui a un commencement a une cause ; tout ce qui est en mouvement a un moteur ; tout ce qui n'est pas nécessaire a quelque chose qui le fait exister. Ce qui est éternel, qui a toujours été et sera toujours, n'a pas de cause puisque rien ne l'a amené à l'existence ; ce qui n'est pas en mouvement, qui reste éternellement identique, n'a pas besoin de moteur ; ce qui est nécessaire, qui existe par lui-même, n'a besoin de rien pour le faire exister. D'ailleurs, puisqu'elle est la cause de tout et qu'il n'y avait rien avant elle qui puisse en être la cause, la cause première doit forcément ne pas avoir elle-même de cause.
La forme la plus simple de l'argument cosmique, et aussi la plus célèbre et la plus âprement étudiée aujourd'hui, nous vient du penseur musulman soufi Al-Ghazâli. Il s'agit de l'argument dit du kalam : « Tout ce qui a commencé à exister a une cause. Or, l'Univers a commencé à exister. Donc, l'Univers a une cause. »

L'argument moral
La présentation la plus célèbre de l'argument moral pour l'existence de Dieu se trouve dans le roman Les frères Karamazov, de l'écrivain russe Féodor Dostoïevski, dans lequel un des personnages s'interroge : « Mais alors, que deviendra l’homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ? »
Cet argument se résume au raisonnement suivant : si Dieu n'existe pas, les valeurs morales objectives n'existent pas ; or, les valeurs morales objectives existent ; donc, Dieu doit exister.
Cet argument ne vaut évidemment que si on part du fait que le bien et le mal sont des valeurs absolues. On pourrait répondre en défendant une morale purement sociale, dont le seul but serait de garantir le bon fonctionnement de la vie en communauté. Dans ce cas, cette morale varierait en fonction des époques et des cultures, selon l'organisation différente des sociétés humaines, et il n'existerait aucune morale universelle. C'est là que ce raisonnement pose problème : imaginons par exemple si les nazis avaient gagné la Seconde Guerre Mondiale, réalisé leur but d'extermination de tous les Juifs et endoctriné la totalité de la population mondiale ; dans ce cas, avec une morale culturaliste, la Shoah serait moralement bonne dans cette société ! Si, au contraire, la morale est absolue, alors même dans une telle société la Shoah restera moralement mauvaise, en dépit du fait que l'humanité entière la considérerait comme moralement bonne.

Les autres arguments :
En plus des quatre principaux arguments théistes (ontologique, téléologique, cosmologique et moral), d'autres arguments moins connus ont été proposés. En voici quelques-uns :
  • L'argument historique : L'homme est par nature trop anxieux pour développer de lui-même sa créativité et trop égocentrique pour s'orienter de lui-même vers une société organisée ; s'il y est parvenu c'est qu'il y a donc forcément une force extérieure à lui-même qui l'a guidé. Cette idée était répandue surtout dans les sociétés antiques pré-grecques.
  • L'argument de l'absolu : Une chose, une action, n'est bonne ou mauvaise que par rapport à une échelle de valeurs donnée. Or, pour que cette échelle puisse mesurer objectivement le bien et le mal, il faut qu'elle ait une valeur maximale. Donc, il y a forcément un Bien absolu. (Le même raisonnement marche aussi avec les notions de Vrai et de Beau.) Cet argument est tiré de la Somme théologique de Thomas d'Aquin.
  • L'argument spatio-temporel : C'est une variante intéressante de l'argument cosmologique, très utilisé dans la pensée islamique. L'espace et le temps ayant tous les deux eu un commencement, ils doivent avoir une cause. Or, puisque l'espace-temps n'existaient pas avant leur création, leur créateur doit être extérieur à l'espace et au temps, infini et éternel.
  • L'argument du consensus universel : Le fait que toutes les civilisations du monde, même celles qui n'avaient aucune relation entre elles, ont en commun l'idée du divin sous diverses formes, prouvent qu'une forme de divin doit exister réellement. Cet argument a été émis par Cicéron ; il est faible car s'agit d'un argument de la tradition, une forme d'argument d'autorité.
  • L'argument de la limite de la connaissance humaine : La conscience humaine est limitée ; donc il doit forcément exister autre chose qui dépasse sa conscience. L'auteur de cet argument est Kant.
  • L'argument pragmatique : Le fait que, même sans preuve empirique préalable, l'acceptation de l'existence de Dieu et des conséquences qui en découlent (efficacité de la prière notamment) fonctionne dans la vie du croyant, est la preuve que ce que ce croyant croit est vrai. Ce raisonnement vient du philosophe et psychologue américain William James.
  • L'argument anthropique : Nous, humains, sommes des êtres personnels (c'est-à-dire conscients, rationnels, moraux, aimants, etc.), donc la nature dont nous sommes issus doit également avoir pour origine un être personnel ; sinon, ce serait comme si la nature donnait vie à un poisson alors que l'eau n'existe pas. L'auteur de cet argument est le Dr Gregory Boyd, un pasteur et apologète évangélique contemporain.

Un dernier pour la route
Un dernier argument, peu connu mais qui me plaît beaucoup personnellement : celui développé par C.S Lewis, professeur de littérature à l'Université d'Oxford pendant la 1° moitié du XX° Siècle, passé de l'athéisme au théisme puis au christianisme et devenu après sa conversion un des auteurs chrétiens les plus réputés de son époque. Des prémisses de cette idée se trouvent déjà chez Augustin et Pascal, dans leur célèbre formule disant qu'« il y a dans le coeur de tout homme un vide en forme de Dieu. »
Au début de sa carrière universitaire, Lewis était athée. Pourtant, il a toujours gardé une profonde soif de spiritualité, qui se manifestait surtout par sa passion pour les mythologies antiques, soif que sa vision du monde athée et matérialiste ne parvenait pas à satisfaire. Or, la nature est ainsi faite que tout besoin naturel peut être assouvi de façon naturelle : la nourriture répond à la faim ; l'eau à la soif ; etc. Aucun désir n'existe sans que l'assouvissement n'en soit possible. Il en est finalement venu à la conclusion, qui a été une étape importante dans son cheminement intellectuel vers le théisme, que puisque son besoin de spiritualité ne peut être comblé par le monde matériel, c'est qu'il doit exister une réalité au-delà du matériel qui soit en mesure de l'assouvir. Je cite sa conclusion en ses propres mots : « Si je découvre en moi un désir qu’aucune expérience dans ce monde ne peut satisfaire, l’explication la plus probable est que j’ai été fait pour un autre monde. »

Et alors ?!
Pour conclure, je poserais tout simplement la question : à quoi a servi cet article ? Quel est l'intérêt de tels arguments ? Aucun d'entre eux ne prouve l'existence de Dieu de façon absolue ; dans le cas contraire, il n'y aurait plus la liberté de croire qui est si vitale à tout croyant. Quid du pari de Pascal ? D'ailleurs, bien peu d'athées n'ont jamais été convaincu de l'existence de Dieu uniquement par de tels arguments (un exemple où c'était le cas est celui du philosophe britannique Antony Flew, un des plus importants penseurs athées militants de son époque qui, en 2004, a déclaré adhérer à présent au déisme aristotélicien). Et puis de toute façon, la foi chrétienne, c'est beaucoup plus que de croire seulement en l'existence de Dieu.
Je pense tout de même que sans être décisifs, ces arguments ont leur intérêt : ils ne peuvent pas, dans l'absolu, prouver que Dieu existe ; mais ils peuvent servir à défendre la crédibilité de la foi en montrant qu'il est cohérent de le croire. Qui sait, peut-être que l'un ou l'autre de mes lecteurs sera amené à réfléchir par mon article et qu'il se posera plus sérieusement cette question essentielle : et si c'était vrai ?

3 commentaires:

Pepscafe a dit…

Bonjour !

Intéressant blog et intéressant article !
A quand de nouveaux billets ?

Concernant Pascal, on a souvent rapproché ce dernier de Kierkegaard. Effectivement, Pascal était peut-être le seul auteur apprécié par le philosophe danois.
Si les deux se ressemblent, ils divergent aussi sur d'autres points, notamment l'apologétique : Pascal cherchait à rendre le christianisme aimable et attractif, tandis que Kierkegaard visait à provoquer l'effroi.
Si les deux mettaient l'accent sur la valeur de l'engagement et du risque dans le "saut de la foi", le fameux "pari de Pascal" repose sur un calcul rationnel d'intérêt (à parier), tandis que Kiekegaard méprisait tout calcul(j'avoue ne pas non plus aimer pas cette approche du "calcul") pour laisser toute la place à la foi.

Bonne continuation !

Philip777 a dit…

Merci !
Pour l'instant je suis en plein dans la rédaction de mon mémoire de fin d'études, tout le reste est donc mis un peu entre parenthèses...

pepscafe a dit…

Ha ! Je comprends !
Quel est le sujet de votre mémoire ?

Tous mes voeux de réussite, en attendant votre retour sur ce blog !

Cordialement.